Partir en Camargue, c’est partir à la découverte d’une nature sauvage et préservée. C’est parcourir de vastes étendues que chevaux, taureaux et flamants roses se partagent en harmonie, sous l’oeil bienveillant des gardians.
Une manade en quelques mots
L’élevage de taureaux
Une manade, c’est une exploitation agricole typiquement camarguaise. Plus spécifiquement, une manade est une exploitation d’élevage de taureaux de race Camargue.
Vivant en semi-liberté dans de vastes zones marécageuses, le taureau Camargue est la seule race européenne de bovins qui est encore considérée comme sauvage. Les contacts avec l’homme sont en effet réduits au minimum : contrôle sanitaire, marquage au fer des veaux (la ferrade), tri du bétail, regroupement du troupeau pour la vente.
Outre les taureaux, certaines manades élèvent également des chevaux de Camargue, dont la première fonction est celle de monture de travail du bétail. Reconnu pour son adaptabilité aux terrains marécageux, les qualités de vivacité et de maniabilité du cheval de Camargue en font le compagnon idéal des gardians et des manadiers.
Le manadier
Propriétaire ou exploitant, le manadier est la personne en charge de la manade. Son rôle est de superviser toutes les activités liées à la gestion de la manade, de l’élevage à la préservation de l’écosystème, en passant par les soins aux animaux, la gestion des pâturages et l’organisation d’activités touristiques.
En plus de la gestion de la manade, le manadier participe également à la préservation des traditions et du patrimoine de la Carmargue. Il joue un rôle clé dans la transmission des savoirs et des compétences nécessaires à l’élevage des animaux et à la perpétuation des traditions culturelles telles que les courses camarguaises.
Le manadier travaille en étroite collaboration avec des gardians.
Les gardians
Un gardian est un terme spécifique à la région camarguaise. Il désigne un gardien de troupeau.
Si le manadier est le gestionnaire de l’exploitation et de l’élevage, le rôle principal d’un gardian est de veiller au bien-être des animaux et de les guider dans les pâturages.
Pour se déplacer efficacement dans les zones marécageuses et gérer les troupeaux en toute sécurité, les gardians utilisent des chevaux de Camargue avec lesquels ils rassemblent, trient et déplacent les animaux selon les besoins de l’élevage.
Le travail du gardian
Le métier de gardian est dur et peu rémunérateur. Pour subsister, il faut souvent combiner élevage, agriculture et accueil touristique. En dépit de la modernisation technique du métier, les traditions sont scrupuleusement perpétuées, en particulier la façon de monter qui est spécifique aux Gardians.
On devient gardian et surtout manadier principalement de père en fils.
Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de gardians dits amateurs que de gardians professionnels. Ceux-ci viennent donner un coup de main aux manadiers en période plus chargée.
Profondément enracinés dans la culture traditionnelle camarguaise, les gardians perpétuent les méthodes et les savoir-faire transmis de génération en génération. Parmi les tâches qui leur incombent :
- La ferrade – application au fer rouge de la marque de la manade et d’un numéro d’identification sur la cuisse gauche et les côtes des jeunes taureaux de l’année (bouvillon), tel que requis par les services vétérinaires
- Le triage – rassemblement et enfermement des bêtes de la manade pour les trier avant une course ou une ferrade
- Le bistournage – castration des jeunes taureaux pour les rendre moins agressifs et plus aptes aux courses camarguaises
- L’engasade – immersion des troupeaux lors de la traversée du Rhône ou d’un marais
- L’abrivade – traversée au galop des taureaux jusqu’aux arènes, encadrés par des gardians à cheval (pratique commémorative de l’époque où il n’y avait pas de camion pour déplacer les taureaux de la course)
- La bandide – encadrement des taureaux par les gardians des arènes jusqu’aux prés
Fiers de leur rôle de préservation de la culture locale, les gardians participent activement aux événements et aux festivités qui leur permettent de démontrer leurs compétences, notamment les courses camarguaises et les activités équestres spécifiques à la région.
Chaque 1er mai, jour de la Saint-Georges (patron de la Confrérie des Gardians), la Fête des Gardians rassemble à Arles de nombreux gardians et manadiers. En costumes traditionnels, ils traversent la ville avant de se rassembler dans les arènes pour un grand spectacle équestre.
Les courses camarguaises
Les taureaux élevés dans les manades sont principalement utilisés lors de courses camarguaises, qui se pratiquent dans des arènes, sur des places publiques ou dans les rues.
La course camarguaise est un sport traditionnel où les participants (raseteurs) doivent attraper des attributs fixés sur la partie frontale du taureau, appelé “cocardier” ou biòu. À la différence des corridas, il n’est nullement question de mettre le taureau à mort.
Manade Raynaud
Fondée en 1904, la manade Raynaud est basée au Grand Radeau, à proximité des Saintes-Maries-de-la-mer.
La famille Raynaud élève des taureaux de Raço di Biou depuis 6 générations. Deux de leurs taureaux ont remporté le très convoité trophée du Biou d’Or (meilleur taureau de la Camargue) : Régisseur en 1957 et Ratis en 2013.
Avec 250 bovins sur près de 1000 hectares, c’est le plus ancien élevage de taureaux camarguais.
Histoire de la manade Raynaud
En 1875, Théophile Papinaud achète des taureaux de race Camargue pour commencer un élevage. Après quelques expériences décevantes de croisement avec des bêtes espagnoles, il se consacre à la recherche du sang pur Camargue. Son fils, Gustave Papinaud, lui succède en 1896 et continue son travail de sélection.
À sa mort en 1904, et selon ses voeux, Mathieu Raynaud, son bayle (homme de confiance), acquiert la manade. Durant les années qui suivent, ce dernier poursuit les mélanges visant à affiner encore davantage la pureté de la race du troupeau.
En 1922, son fils Joseph prend la relève. Puis vient le tour de ses deux fils, Casimir et Jacques, en 1945. La manade s’installe alors au Grand Radeau, entre le Sauvage (rive droite du Petit Rhône) et la mer. En 1951, la manade sort à Beaucaire sous le nom de Raynaud Frères.
Après la mort de Casimir en 1959, ses fils, Marcel et Jean, héritent des bêtes de leur père alors que Jacques conservent ses parts.
En 1985, Frédéric, le fils de Marcel, achete les bêtes de son oncle pour que le troupeau ne se divise pas tandis que ses filles, Aurélie et Aude, achètent les bêtes de Marcel et Jean en 2016. Aujourd’hui manadières, les deux soeurs parviennent à se faire une place dans un monde encore très masculin.
Visite au plus près des gardians
Visiter une manade, c’est vivre de près les traditions liées à l’élevage des taureaux de Camargue tout en découvrant la passion et l’authenticité de la culture locale.
La manade Raynaud ouvre les portes de son élevage au cours de journées traditionnelles camarguaises qui sont l’occasion d’en apprendre plus sur le métier de gardian mais aussi de découvrir le domaine et d’assister à une démonstration de leur travail avec les chevaux.
Nous arrivons à la manade en milieu d’après-midi. Le temps de saluer Aurélie, l’une des deux filles de Frédéric, nous voilà dans la remorque à la découverte d’une (toute petite) partie du domaine.
Le troupeau arrive derrière nous. En parfaite synchronisation avec leurs chevaux, les gardians dirigent le troupeau avec calme et autorité.
Connaissant chaque recoin du paysage, les gardians se déplacent avec aisance dans les vastes pâturages de la manade. Leurs gestes fluides et assurés laissent à penser qu’ils guident le troupeau sans effort apparent.
La remorque s’arrête pour nous donner l’occasion d’observer les gardians qui dirigent le troupeau vers nous. Une fois les animaux rassemblés, les gardians forment un cercle autour du troupeau, tout en maintenant une distance adéquate pour éviter de stresser les bêtes.
Il est temps de se remettre en marche pour une démonstration de triage.
Mais avant, les gardians nous accueillent et viennent se présenter.
Frédéric Raynaud se saisit de l’occasion pour s’exprimer. En seulement quelques minutes, il réussit à nous communiquer toute sa passion de manadier. Il nous fait également part de ses inquiétudes quant à l’avenir, notamment face à l’avancée de la mer qui empiète chaque année un peu plus sur le territoire de la manade.
Le tri du bétail commence. Deux gardians collaborent pour isoler une première bête. En communiquant entre eux par signaux et commandes vocales, ils coordonnent les mouvements de leurs chevaux et de leurs corps jusqu’à parvenir à isoler l’animal choisi du reste du troupeau.
Le tri du bétail avec les gardians demande patience et habileté, ainsi qu’une profonde compréhension des animaux. Les gardians utilisent leur expérience et leur connaissance du comportement des taureaux et des chevaux pour anticiper leurs réactions et les diriger de manière fluide et efficace.
La visite s’achève dans une atmosphère empreinte de sérénité et de respect pour ces gardians qui incarnent l’âme de la Camargue. Leur travail, empreint de tradition et de passion, témoigne de l’étroite relation entre l’homme et la nature et de l’importance de préserver les habitats naturels.
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